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Vintage & système D

Foutu Covid. En plus de museler notre libre arbitre, la pandémie a méchamment tapé dans le tiroir-caisse. Les confinements qui s’enchaînent, les pauses d’activité et les mesures de chômage partiel perturbent notre quotidien depuis bientôt un an. Seul avantage, cette crise nous aura permis de consommer autrement. Place à la récup’ ! Dans la débrouille mais non sans style.

Moins de sous en poche donc moins de gâchis ? Plutôt un retour à l’essentiel à la fois imposé et prometteur. L’année écoulée a vu l’incertitude grimper en flèche. Des perturbations qui ont d’abord touché les populations les plus précaires. Mais pas seulement… Dans l’ensemble de la société, la mode du vintage ne cesse de faire des émules. Que ce soit par pure nécessité ou tout simplement par choix, un nouveau courant se dessine. Plus chaleureux. Plus proche des gens. Plus riche de projets. La preuve, les applications du type Vinted ou Le Bon Coin ont le vent en poupe. Dans la vraie vie aussi, le rétro gagne du terrain. Petit tour d’horizon d’une tendance en pleine expansion.

DES LIEUX DE PARTAGE

Aux quatre coins de l’Eure-et-Loir, il existe des espaces associatifs ou des dépôts-ventes qui priorisent le lien social, l’échange et l’ouverture aux autres. C’est par exemple le cas du Relais Emmaüs de Favières, du Grenier de l’Huisne à la Ferté-Bernard, de la Recyclerie Percheronne de La Loupe, Récup&Co à Nogent-le-Rotrou, Champhol Mip à Champhol ou encore Troc.com à Fontenay-sur-Eure. Grace aux dons ou à la revente, une multitude d’objets y sont collectés, valorisés et remis sur le marché à des prix défiant toute concurrence. En périphérie de Lucé, Les Compagnons du Partage proposent le même genre de services. Karim, compagnon depuis bientôt un an, insiste sur le côté humain et rassembleur du collectif.

« C’est comme une grande famille composée de bénévoles et d’employés permanents. Tous les quinze jours, on organise des ventes issues des dons de particuliers ou d’enseignes de la grande distribution ». L’emplacement est vaste, divisé en plusieurs bâtiments. On y croise des visiteurs réguliers ou de simples curieux à l’affût de LA bonne affaire. Comme le rappelle Karim, Les Compagnons du Partage proposent toutes sortes de produits d’occasion : « Principalement des vêtements mais aussi des livres, des disques, de la vaisselle, des jouets, des articles de sport ou du bric-à-brac ». L’homme a le sourire, les clients reviennent. Depuis la réouverture des commerces et la frénésie de Noël, les affaires reprennent.

LA FRIPE, C’EST CHIC

Il est vrai que le business redémarre. Bien qu’un peu moins qu’avant. C’est en tout cas l’avis de la pétillante Catherine. Depuis bientôt neuf ans, elle tient la friperie S’habiller autrement nichée dans une ruelle de l’hypercentre chartrain. Une échoppe au look archi rock’n’roll, dans la lignée des « charity shops » anglo-saxons. Accompagnée de sa fille Hannah (qui nous accueille vêtue d’un chatoyant manteau léopard à l’image du magasin), Catherine constate un net ralentissement au niveau de la clientèle. « Nous sommes sur une baisse de 30% à 40% du taux de fréquentation. Les gens ont moins de fric et ils ont peur. Ils ne reviennent plus en masse comme avant. Mais surtout, ils ne savent plus trop ce qu’ils ont le droit de faire et de ne pas faire. La vérité du lundi n’est pas celle du mardi, ni du mercredi. Donc tout le monde est largué ».

Cela dit, Catherine reste optimiste. Leurs clients sont fidèles, passionnés, hautement cosmopolites. « Assez bobos. Des profs, des artistes. Mais aussi des personnes avec des petits budgets. Ou des habitués d’origine africaine qui baignent dans l’art de la sape, connaissent les marques par cœur et possèdent une vraie vision esthétique ». Certains viennent de Chartres et de sa région. D’autres, de beaucoup plus loin… Belgique, Allemagne, Californie. « Nous sommes une friperie traditionnelle qui dispose d’un fournisseur principal à Paris. Notre Ali Baba. Parfois, on négocie un peu en Chine. Mais avec la Covid, c’est morne plaine ». S’habiller autrement dégage un charme addictif, instantané. Une singularité en grande partie due à Gégé. « Le big boss de l’ombre », plaisante Catherine. « Il est dans le métier depuis cinquante ans. Il a commencé dans la haute-couture, a habillé les Rolling Stones, Yves-Saint-Laurent et tout un tas de stars. C’est lui qui trie ce que l’on ramène. Nous ne gardons en boutique que 10% de l’ensemble des produits collectés. Les pièces les plus intéressantes sont customisées pour nos capsules (de petites collections qu’elles conçoivent elles-mêmes). Le reste part dans les relais et les recycleries. C’est un écrémage incroyable ». L’enseigne vend également des joujoux, des bouquins, des DVD et des bijoux dans une atmosphère joyeusement foutraque, typique des friperies au sens noble du terme.

Plus inattendu, Catherine et Hannah organisaient régulièrement des road-trips avant 2020. À Londres, Brighton ou Berlin notamment. « Le trajet se déroulait toujours en autocar. À l’ancienne. En respectant une jauge de douze personnes maximum », précise la jeune femme. « Nous tenons à ce côté cheap avec un forfait qui comprend le transport et l’hébergement. Si on pouvait covoiturer, on le ferait. Le but, c’est de disposer du plus gros budget possible pour chiner ». Ça tombe bien, au prochain voyage : direction Bruxelles. Ou Edimbourg. « Une cliente prof d’anglais est partante pour nous driver ». Que demander de plus ? Info exclusive, Catherine prépare un autre joli coup avec la gestionnaire du Lycée Marceau. Un rallye de voitures anciennes prévu au printemps. « 5€ la participation. Douze véhicules, soit une cinquantaine de personnes. Rêvons un peu. C’est encore un droit, non ? ». Des projets comme s’il en pleuvait. Et à moindre frais.

ON S’ADAPTE

Une évolution qui touche également des établissements plus luxueux à l’instar de la boutique Toccata située à deux pas de la Cathédrale de Chartres. Aline, l’élégante propriétaire, a elle-aussi changé son fusil d’épaule à la suite des confinements en rafale. « La consommation évolue. L’idée de développer la vente de produits de seconde main est née avant la pandémie. Mais l’année écoulée a véritablement donné l’élan », indique-t-elle. « La moitié des mes commandes n’ont pas été produites. J’ai dû modifier mon mode de fonctionnement pour me caler dans l’air du temps. Les gens ne veulent plus acheter inutile. Leur pouvoir d’achat est plus intelligent et plus juste par rapport aux prix ». Pour autant, Aline n’a pas abandonné ses fondamentaux. « J’use de mon savoir-faire pour proposer une sélection de vêtements de qualité. Je me rends chez mes clientes. Ou ce sont elles qui remplissent leurs sacs et viennent à moi ». Néanmoins, la commerçante n’apprécie guère les termes de fripes ou d’occasions. Elle préfère parler de « vintage » comme indiqué sur les étiquettes de ses articles exclusifs. « Je surfe sur de très belles marques depuis vingt-cinq ans. Isabel Marant, Balenciaga. Même encore plus haut-de-gamme, je prends (rires) ! Pas de volume. Rien que des pièces uniques. Et ça marche ». D’autant qu’Aline a choisi non pas de reverser de l’argent mais de tout convertir en avoirs. Une formule gagnante puisqu’elle voit depuis peu arriver une nouvelle clientèle. « Une femme adorable m’a rendu visite avec sa fille. Elle était enthousiaste et m’a tout de même fait une carte bleue de 700€ (soit une réduction de près de 70% du tarif initial). Des articles qu’elle ne se serait jamais permise d’acquérir au prix fort. Vive le système D. Cela reste le meilleur moyen de s’adapter à la conjoncture. Ne surtout pas tomber dans la déprime et rebondir quoiqu’il arrive ».

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