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Touche pas à mon patrimoine !

Un beau monument, c’est beau. Alors pourquoi l’emballer ?

En septembre dernier, Günther, touriste germanique de passage à Paris, ne cachait pas sa déception. Venu découvrir les joyaux du patrimoine de la capitale française, et notoirement grand amateur de monuments historiques, il affichait un air contrit au pied de l’Arc de triomphe de l’Étoile.

Impatient d’en découvrir les quatre hauts-reliefs adossés aux piedroits, quelle ne fut pas sa surprise… de ne pas les voir, emballés qu’ils étaient dans du tissu. « Ach ! Mais qu’est-ce que c’est que cette scheisse ? », s’exclama-t-il, dans un français au vocabulaire approximatif et quelque peu grossier.

Boris, bobo parisien barbu et poilu, lui rétorqua : « Mais mec, c’est de l’art, tu peux pas comprendre. C’est Christo qui l’a empaqueté avec 25 000 mètres carrés de tissu recyclable en polypropylène argent bleuté, ceinturés grâce à 3 000 mètres de corde recyclable en polypropylène rouge. C’est trop hype et hyper dans l’air du temps… » Amocher le patrimoine, dans l’air de temps ?

260 COLONNES À LA UNE

Ce n’est en tout cas pas nouveau. Plus globalement, c’est la question de la cohabitation entre monument historique et art contemporain qui se pose.

Souvenez-vous. En 1985, c’est un sujet qui fait la une des journaux. Le président François Mitterrand souhaite réaménager la cour d’honneur du Palais-Royal. L’État passe une commande publique à l’artiste français Daniel Buren. Son projet, intitulé « Les Deux Plateaux », est constitué d’un alignement de 260 polygones de marbre de taille inégale, striés de blanc et de noir. Une violente polémique éclate. Elle lance le débat de l’installation d’une œuvre contemporaine dans un site historique classé. Les opposants aux « colonnes de Buren » reprochent à l’artiste et au ministre de la Culture, Jack Lang, de défigurer le lieu. Les pro-Buren les qualifient de passéistes. Les esprits s’échauffent. Pétitions des riverains, courriers, questions parlementaires, graffitis, insultes sur les palissades du chantier… Le temps passant, les colonnes semblent, depuis, s’être fondues dans le paysage.

LA BLAGUE DE TONTON

« Tonton » Mitterrand n’en est pas resté là. « Le Sphinx » (il avait beaucoup de surnoms) voulait sa pyramide. Il l’aura au Louvre. La construction de ladite pyramide faisait partie du projet « Grand Louvre », lancé en 1981. L’objectif était de donner une nouvelle vie au lieu, en modernisant le palais et en agrandissant le musée, en y incluant l’aile Richelieu, qui abritait à l’époque le ministère des Finances. Toutefois, la naissance de la pyramide fait naitre de nombreuses controverses. Son architecture très moderne est loin de séduire tout le monde, les délais sont très courts et le budget colossal. Sa construction est néanmoins validée en 1984 et démarre l’année suivante. La pyramide sera ouverte au public le 1er avril 1989 (quel humour…). C’est désormais la troisième « œuvre » la plus visitée au Louvre.

PARIS ÉBRANLÉ

Vingt-cinq ans plus tard, un autre haut lieu de la capitale est ébranlé.
Le 16 octobre 2014, l’artiste américain Paul McCarthy, 69 ans, est agressé place Vendôme pour une érection. Pas la sienne, mais celle d’un arbre de Noël gonflable de 24 mètres de haut, à la forme ambiguë. Celui-ci ressemble à s’y méprendre à un sex-toy, en l’occurrence un plug anal. Certains ont les boules. Dans les jours qui suivent, l’œuvre sera d’ailleurs saccagée. Gonfler un plug anal à côté de la colonne Vendôme, le plus phallique des monuments parisiens, coulée dans le bronze, c’en était sans doute trop.

Et au fait, Günther dans tout ça, me direz-vous ? Soyez rassurés, sa journée s’est bien terminée. Quittant Paris pour visiter Chartres et sa cathédrale classée au patrimoine mondial de l’Unesco, il a passé une soirée féérique à admirer les monuments de la ville, merveilleusement et respectueusement mis en lumière.

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