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Saint-Martin-au-Val : Unique au monde

Il s’agit d’une découverte archéologique majeure : des boiseries ornementales issues des fouilles du sanctuaire gallo-romain de Saint-Martin-au-Val. Bruno Bazin, le responsable d’opérations, nous dévoile les secrets d’un trésor inestimable, empreint de mysticisme et de sophistication.

En quoi le site est-il aussi exceptionnel ?
Du fait de sa grandeur. Ce sanctuaire formait un édifice cultuel de onze hectares. Ce qui est colossal. Habituellement, les dimensions sont plus restreintes. Le lieu réunissait beaucoup de pèlerins et accueillait les cérémonies religieuses dédiées aux multiples dévotions. En France, c’est très rare. On trouve surtout des exemples similaires à Tarragone en Espagne. Ou au temple de Bêl à Palmyre en Syrie. La construction, déployée entre 70 et 140 après JC, est typiquement romaine. Basée sur le polythéisme et le syncrétisme, à savoir l’assimilation des religions locales.

Comment le décririez-vous ?
Niveau architecture, il fallait que ça pète (rires). D’où son caractère assez ostentatoire. L’édifice se déployait au cœur d’un vaste quadriportique. Le centre d’Autricum (la Chartres antique) s’est principalement développé sur et aux alentours du promontoire. Le sanctuaire était un peu excentré et accueillait des ateliers ainsi qu’une nécropole. Il s’agissait d’un lieu uniquement voué à la célébration des divinités. Et ses proportions ne sont pas anodines. Comme le décrit César dans La Guerre des Gaules, nous sommes probablement face à un «locus sacrus» (un lieu sacré). Là où les gaulois et leurs druides se réunissaient dans la forêt des Carnutes. Ce qui est certain, c’est que la cité a toujours projeté une aura particulière. Au niveau politique, économique. Et religieux.

Pourquoi ?
Le bâtiment fut abandonné à l’avènement du christianisme. Mais on décèle une véritable continuité spirituelle. Saint-Lubin, l’un des premiers évêques de Chartres, est inhumé dans l’église attenante. Et ses successeurs venaient s’y ressourcer avant d’être consacrés à la Cathédrale. Selon toute vraisemblance, le sanctuaire pouvait accueillir jusqu’à 5000 personnes. On y célébrait un dieu principal mais aussi des dieux et déesses périphériques. Car sous l’Antiquité, la religion était omniprésente dans le but de chasser le mauvais sort.

Et les boiseries ?
Elles forment un «unicum» ; un artefact unique ayant rendu nos recherches d’intérêt national (sous financement du Ministère de la Culture). Les seules boiseries similaires se trouvent à Herculanum en Italie. Pour notre équipe d’archéologues, l’émotion est indescriptible. Tout bonnement phénoménale.

Quelle est-leur particularité ?
Elles sont ornées de pigments naturels et de fabuleux ciselages d’artisans. Les boiseries provenaient d’un plafond suspendu muni de rouages d’une complexité inédite. Elles ont été découvertes dans un bassin (jouxtant le temple d’Apollon, le dieu guérisseur) lui aussi entièrement rénové. Elles y sont probablement tombées à la suite d’un incendie volontaire dû aux pillages. Puisque l’architecture mérovingienne et carolingienne a énormément recyclé les matériaux antiques… Comme le bois a été sorti de l’eau, il faut absolument le conserver dans son milieu de découverte.

Comment procédez-vous ?
On l’extrait, on le préserve en l’arrosant. Puis on le plonge dans des bacs reproduisant son cadre d’immersion depuis deux millénaires. Les canaux centraux sont dépourvus de leur sève originelle. L’eau l’a remplacée.
C’est pourquoi le bois n’est ni écrasé, ni fissuré. Et qu’il est aussi bien conservé. Pour éviter qu’ils ne partent en lambeaux ou ne soient grignotés par les insectes, les vestiges sont scellés dans des chambres froides empêchant le développement des bactéries. Les pièces les plus importantes se trouvent déjà à l’ARC-Nucléart de Grenoble, un labo spécialisé dans la restauration des boiseries. Ils vont les nettoyer et les tremper dans des bains enrichis en résine. Résine qui va progressivement remplacer l’eau. À leur retour, il faudra recréer une atmosphère humide pour une préservation optimale.

Et après ?
Le site regorge encore d’innombrables surprises. Le bassin est excavé avec ses motifs décoratifs, sa source jaillissante. Et en dégageant une ou deux plaques de marbre, nous avons décelé une canalisation antérieure renfermant un autre bassin en bois. Les prochaines fouilles y seront consacrées. Une exposition devrait aussi se dérouler, courant 2025, au sein du futur musée archéologique des abbayes Saint-Brice.
La partie ne fait que commencer !

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