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Michel Crance

Portrait du directeur artistique de « Portail Sud », au parcours pour le moins… Epik !

Les abords de la cathédrale. Sous un panonceau jaune et bleu annonçant l’intitulé des lieux se dessine l’entrée de l’artiste. Nous retrouvons Michel Crance dans ce qu’il aime voir comme son auberge espagnole temporaire, son arrière-cuisine. Le mot est d’importance. Dans son activité, on se doit de choisir le bon comédien comme on le fait d’un bon fruit pour préparer, au hasard, une de ces belles tartes aux pommes qu’il adore.

« Un dessert simple peut être délicieux si on y retrouve l’esprit de celui qui l’a préparé ».

Michel Crance

Pour lui, la cuisine se rapporte définitivement au théâtre : c’est une chose éphémère, un moment de partage, nécessitant beaucoup de préparation pour accoucher d’un moment intense. L’homme est d’esprit, à la profondeur aimable et jamais écrasante.

« Je travaille dans le plaisir, le désir, la passion ».

Michel Crance

Voilà comment introduit son métier ce vosgien de naissance, fortement lié à ses origines. Enfant, il s’élève aux côtés de son grand-père qui lui raconte la nature, tandis que son père, ébéniste, fait se poursuivre la vie des arbres sous la forme de jolis meubles. Transformation logique pour la région de Mirecourt, pays des meilleurs luthiers de France.

Transmission, continuité : des valeurs qui font sens pour Michel. Dans son village de Châtel-sur-Moselle, il rejoint une association visant à ressortir de terre, la forteresse enfouie sous Louis XIV. Point de centralisation pour lui qui abhorre l’uniformité de la culture. D’origine allemande, il se considère d’abord comme européen. Des racines qui le font se passionner très tôt pour les grandes sagas germaniques, Wagner, et le spectacle en général. Michel fabrique des marionnettes pour interroger son identité. Ne supportant pas d’être figé dans son corps, il adore les romans d’espionnage où on change de peau à chaque chapitre. La figure rimbaldienne du « Je est un Autre » le fascine. Jusqu’au vertige : c’est un enfant étrange, parfois étranger à lui-même.

« Je ne voulais surtout pas m’enfermer dans un personnage. Je changeais de look en permanence. Personne ne me reconnaissait… et moi non plus ».

Michel Crance

Quoi de mieux que le théâtre pour expérimenter ces milles personnalités auxquelles il prétend ? La passion lui vient au lycée. Un établissement religieux, masculin et se réclamant d’une culture conservatrice qui défend même l’indéfendable, la pédophilie en tête. Protestation : notre produit de 68 se rebelle, jusqu’à mettre le feu. Pour la fin d’année, il prépare en sous-terrain un drôle de spectacle. Avec l’aide des jeunes filles de l’école voisine, il monte « Classe Terminale » de René de Obaldia, une pièce qui débute par l’assassinat d’un professeur ! Le ton est donné : Crance rime avec irrévérence. Écoutez plutôt :

« Je n’ai jamais aimé les religions monothéistes car je trouvais que les prêtres, dans leur cérémonial, ne donnaient jamais l’impression de croire en ce qu’ils faisaient. Moi, j’avais besoin de belles mythologies pour que l’on retienne mon attention ».

Michel Crance

Au sortir du lycée, Michel étudie la scène, les maths

« pour le plaisir car j’adorais la discipline »,

Michel Crance

échappe au service militaire et cumule les métiers. Il est couvreur, maçon, charpentier puis découvre l’art du service dans divers restaurants, de la brasserie à l’établissement de luxe.

« Le service, c’est déjà de la représentation ».

Michel Crance

En parallèle, il pratique le Café-Théâtre à domicile et s’éprend des récits de Michel Foucaud. À l’époque, l’idée de l’isolement le fascine… terriblement. À Mirecourt se dresse un hôpital psychiatrique tenu par un disciple lacanien. Michel cherche à expérimenter l’enfermement afin de produire un film sur le sujet. Et durant deux mois, se fait interner comme le journaliste du Shock Corridor de Fuller ! Pour se faire, il devient anonyme et se fait appeler Éric avec toutes les difficultés que cela comporte. Mais rien n’arrête Michel et ses vingt ans : dès sa sortie, il ambitionne cette fois d’investir une prison. Il se met à fréquenter un perceur de coffre-fort et fait promettre au voleur de le dénoncer comme complice s’il se fait prendre un jour. Ce qui ne manque pas d’arriver… deux ans plus tard, tout de même ! Le bandit respectant sa parole, Michel tombe entre les mains d’un certain juge Lambert (oui, celui de l’affaire Villemin) à qui il explique son projet. Le magistrat accepte (une bonne histoire pour lui qui se rêve écrivain de polar), à condition d’obtenir des renseignements auprès du futur voisin de cellule de Michel, un meurtrier. Le voilà donc emprisonné mais l’inconfort n’est pas celui qu’on croit :

« l’absence de dignité dans un espace clos est plus difficile que de côtoyer un tueur au quotidien ».

Michel Crance

Sauf que Michel veut aller encore plus loin et crée plus tard un incident avec des gardiens pour aller au mitard. Quinze jours de froid avec pour seule lumière le Don Quichotte de Cervantès. À sa sortie, Michel n’en démord pas : pour lui, le plus grand enfermement se joue dans le regard de l’autre, qui vous met, quoi qu’il advienne, dans une case…

Michel voyage alors, et retrouve Chartres. Retrouve, car il l’avait découvert à seize ans, à la faveur d’un ami de son père qui avait voulu lui montrer la maison Picassiette en même temps que la cathédrale. Michel s’installe, d’abord comme agent immobilier pour

« aller chez tout le monde et découvrir tout type de gens ».

Michel Crance

L’aventure « Portail Sud » débute en 1999, après avoir fait du théâtre dans les restaurants ou les usines. S’affranchir des codes bourgeois, toujours. Aujourd’hui, Michel a cette fierté de bénéficier d’un public fidèle depuis les débuts, des spectateurs qui correspondent à sa vision des épicuriens : des gens qui s’arrêtent. Écoutent. Et réfléchissent sur eux-mêmes.

« Dans la vie, on se plante et on ne peut plus revenir en arrière ; au théâtre, on affine et à chaque fois, on s’améliore ».

Michel Crance
théâtre portail sud

info@theatreportailsud.com
02 37 36 33 06
theatreportailsud.com

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