Gilles Marchand
Éditions des Forges de Vulcain
12,99 €
On sait bien que les auteurs n’écrivent pas de n’importe où, qu’ils ont des références, des influences. C’est même avec ça qu’ils écrivent. Avec leurs découvertes et leurs émotions de lecteurs, avec leur goût pour d’autres artistes, et avec la vie qui les entoure. C’est ce qui fait la sincérité de l’écriture. Les écrivains sont en quelque sorte incarnés dans leurs textes, ils sont la matière brute qu’ils transforment, même sans lien apparent avec l’histoire qu’ils racontent. Balzac n’a jamais dit, contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, qu’il était Mme Bovary. Il l’était quand même. Jules Verne, à sa façon, était un enfant du Capitaine Grant, Tolkien, un hobbit, Agatha Christie une tueuse en série.

Dans ce très joli livre de Gilles Marchand, on retrouve les éclopés, les recalés, les bras cassés qu’il aime mettre en scène. Sans doute est-il allé chercher ses personnages à bout de souffle dans la fatigue qu’il a des mauvais traitements qu’on inflige à ceux que la société déclasse. Musicien en plus d’être écrivain, il imagine un chanteur au succès passé dont tout le monde se moque aujourd’hui ; sans jamais avoir été catcheur, on ne doute pas qu’il a rencontré un cerveau aussi brisé que celui de l’un des résidents de la pension de famille qui sert de décors à une nouvelle cour des miracles. Lorsque Jolene arrive à son tour, il y a de la révolte dans l’air. Au départ parce que l’employé du gaz n’a pas été poli, et surtout parce que Jolene en a assez de tout ça, du mépris, de l’indifférence qui condamne ceux qu’on ne voit pas à une sorte d’inexistence sociale. Elle va peu à peu fédérer quelques voisins, mais pas les grincheux qui n’aiment pas trop cette pension de famille un peu bizarre, et puis, bientôt, c’est un attroupement, une foule qui supporte, applaudit, encourage, fait de Jolene et de ses désormais complices, les porte-drapeau de tous ceux qui aimeraient qu’on les aime, ou bien qu’on les déteste, pourquoi pas, mais qu’on cesse de les ignorer.
C’est un requiem, mot qui dit assez que tout n’est pas drôle dans cette histoire, et pourtant on rit beaucoup des situations cocasses que le chanteur – c’est le narrateur – s’amuse à raconter. C’est aussi un livre tendre, un livre politique.
Gilles Marchand est à la fois le chanteur, et donc, comme ses illustres prédécesseurs, il est aussi Jolene, à la fois témoin et héroïne de ce livre qui vous garantit au moins que vous n’oublierez plus de saluer gentiment les caissiers et caissières des supermarchés, que vous réfléchirez à deux fois avant d’éreinter un chanteur ringard, que vous ne claquerez plus la porte au nez d’un vendeur d’encyclopédie. Vous ferez un peu plus attention aux autres, sans vous forcer.