Qu’on le veuille ou non, le masque fait aujourd’hui partie de nos vies. Pénible, contraignant, aussi inesthétique qu’indispensable d’un point de vue sanitaire, il symbolise à lui seul ce monde d’après que les gens redoutent tant. Mais relevons la tête, gardons le moral. Mieux, relativisons. Car ledit masque n’est pas né de la dernière pandémie. Il nous accompagne depuis des siècles. En bien comme en mal.
Au printemps dernier, la planète entière s’est retrouvée masquée. De Wuhan à Paris en passant par Milan, Moscou, Tokyo, Madrid, Rio ou New York, les individus de tous âges et de tous horizons ont dû composer bon gré mal gré avec ce déguisement imposé. Dans la rue, au supermarché, dans les transports en commun, chez le docteur, à l’école, au boulot voire même sur notre canapé, impossible d’y échapper. Et pourtant, cette punition soudaine et en apparence inédite a toujours fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité.
LES VISAGES DE LA PEUR
Aux origines, sa fonction était d’ordre funéraire. Dans l’Egypte antique comme en Grèce, le masque consistait en une feuille d’or grâce à laquelle on moulait les traits des défunts en vue de leur voyage vers l’au-delà. Puis, sous l’Empire romain, apparaissent les tout premiers masques de protection (les ancêtres de nos masques en tissu). Ils sont confectionnés à partir de vessie animale et visent à protéger les artisans et les mineurs des vapeurs toxiques. Un peu plus tard au Moyen-âge, les masques revêtissent une forme bien plus anxiogène. Leur dessein ? Palier aux ravages mortifères de la peste bubonique dite peste noire, dont on racontait qu’elle se propageait dans l’air. Il s’agit d’une combinaison de cire que revêtaient ceux que l’on baptisait les médecins-becs, semblables à des créatures dantesques armées de bâtons. Symboles de l’effroi qui frappe alors les populations d’Europe, ces masques au visuel cauchemardesque se composent de papier bouilli et sont munis d’une goule à deux orifices permettant la respiration. Ils sont rembourrés d’herbes aromatiques, d’épices, de fleurs séchées ou de camphre destinés à atténuer les puanteurs pestilentielles.
Première pandémie documentée, la peste noire a plongé la planète dans une terreur inqualifiable et engendré plusieurs dizaines de millions de morts. Pis, elle a provoqué la chute de bon nombre d’empires et autres dynasties aux quatre coins du globe. D’une certaine manière, cette épidémie originelle semble annoncer le monde instable qui est le nôtre en ce début d’année. Dans la foulée, la peste va titiller notre esprit scientifique face aux effets dévastateurs et parfois néfastes de Dame Nature. Mais aussi et surtout, face aux ravages de l’homme sur l’homme.
VOUS AVEZ DIT MODERNE ?
À la Renaissance, Léonard De Vinci imagine un tissu imbibé d’eau qu’utiliseront les marins pour se protéger contre d’éventuelles attaques chimiques pendant les batailles navales. Une trouvaille qui préfigure les tristement célèbres masques à gaz de la Première Guerre mondiale, dont seront équipés les « gueules cassées » dans les tranchées.

À la même époque, une autre guerre (économique) fait rage. C’est la Révolution industrielle et au sein de tous les corps de métier, de nouveaux dispositifs de protection sont instaurés : des étoffes ou des gazes pour les travailleurs œuvrant dans les marais insalubres, des tissus coniques à destination des plâtriers, des fossoyeurs, des chapeliers ou d’un personnel hospitalier intensément sollicité.
Une caste de médecins et d’infirmiers qui se retrouvera vite en première ligne sur un nouveau front tout aussi redoutable. Celui de la « grippe espagnole » qui fera entre vingt et cinquante millions de victimes au lendemain de la Grande Guerre. Une fois de plus, cette pandémie foudroyante fut comme le reflet précoce de l’épidémie de Covid-19. Les populations mondiales se retrouvèrent confinées et masquées de force. Pour préserver leur santé et celle d’autrui. Mais également sous peine de subir de lourdes amendes. Bref, on connaît la chanson. L’histoire, cet éternel recommencement. Et puis, d’un point de vue purement politique, le masque c’est aussi le bâillon. Le meilleur moyen de vous faire taire. De museler la liberté d’expression.

ZIP, SHEBAM, POW, BLOP, WIZZ
Allez, courage. Les masques ne signifient pas toujours de mauvaises nouvelles. Dès la Préhistoire, ils occuperont une place à part au sein des arts plastiques. On les retrouve sur les peintures rupestres et à la sève des arts premiers en tant que symboliques de multiples civilisations : En Afrique noire, en Océanie, en Asie, aux Amériques. En Europe, ils prennent leur plein essor grâce au théâtre et aux autres formes de spectacle vivant.
Les mosaïques romaines illustrent souvent deux masques mis côte à côte en guise de métaphores de l’art théâtral : un masque rieur (symbole de la comédie) associé à un masque grimaçant (symbole de la tragédie). Ces artefacts véhiculent nos émotions fondamentales pour in fine révéler notre véritable personnalité, sincère ou dissimulée. D’un point de vue technique, le masque se fait dès lors plus léger. Il est conçu à base d’écorce, de cuir voire d’une toile épaisse enduite de cire. Ou en velours et satin noir à la mode de Venise, la sérénissime Cité des Doges. Un courant qui atteint son apogée avec l’avènement de la Commedia dell’arte. Et qui perdure encore aujourd’hui avec le déroulement annuel de l’illustre carnaval vénitien.
En y regardant de plus près, on réalise que le masque est partout. Dans la littérature, la bande dessinée, la musique, le cinéma. Dans chaque recoin de la culture pop, combien de héros et anti-héros en sont affublés ?! La liste est longue et puise au cœur même de nos rêves de gosses. Pierres angulaires de l’imaginaire collectif, les exemples abondent : L’homme au masque de fer, le fantôme de l’Opéra, Zorro, Fantômas, Fantômette, Hannibal Lecter, Spiderman, Belphégor, les bandits dans les westerns ou les psychopathes bien tordus de Massacre à la tronçonneuse, Halloween, Vendredi 13 et Scream.

Mais aussi Batman et son ennemi juré le Joker, sociopathe au rictus grimé et sardonique. Ou encore l’homme invisible, Elephant Man, les Daft Punk, The Mask ainsi que la plupart des protagonistes du grand œuvre métaphysique de Stanley Kubrick (des gladiateurs de Spartacus aux parties fines de Eyes Wide Shut, le masque y règne en maître ; incarnation graphique de nos bons vieux archétypes). Sans bien évidemment omettre le plus emblématique d’entre tous : cette tête brulée de Dark Vador, légende lustrée du vocodeur et ambassadeur intergalactique du masque FFP2.

AU BAL MASQUÉ OLÉ-OLÉ
De l’imaginaire chevaleresque aux fantasmes plus grivois, il n’y a qu’un pas. Un peu d’honnêteté, masques et érotisme ont toujours fait bon ménage. Qui n’a jamais tenté le coup pour pimenter sa libido, hein, entre nous ? Bien utilisé, le masque apporte un petit truc en plus. Il émoustille, booste notre excitation, nous emporte ailleurs. Encore une fois, il nous permet de jouer la comédie, de s’inventer des vies, d’ouvrir le champ des possibles. Nous le croisons pendant les booms adolescentes ou les fiestas costumées entre potes. On le retrouve sur les devantures et les sites des sexshops, qui ont d’ailleurs vu leurs commandes grimper en flèche lors des confinements à répétition. Le masque est indissociable des orgies en dentelles dans les productions Marc Dorcel comme il est constitutif d’expériences plus « borderline » à l’image du bondage ou des pratiques sado-maso.

Alors oui, en ce moment le masque est fortement associé à la prudence, à la méfiance voire à la mort. Nous nous souvenons tous du « sortez couverts » des années Sida. Place cette fois au « sortez masqués ». C’est une évidence, il risque de nous accompagner pendant encore un bout de temps. Libre à vous de transgresser les règles et de vous en inventer de nouvelles. Sous la couette ou ailleurs… Bas les masques, certes. Mais haut les cœurs !